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Un livre de Christian DOUCET pour les vacances : l'Actualité déchirée !
Un livre de Christian DOUCET pour les vacances : l'Actualité déchirée !

 

Cet article de Frédéric BRILLET, paru dans Les Echos du 29 Mars 2005, constitue un véritable résumé des bonnes pratiques de management et de qualité :

  • suivi attentif et pro-actif du marché, adaptation permanente
  • gestion pragmatique, évitant les dépenses inutiles mais sachant investir sur les dépenses porteuses
  • courte échelle hiérarchique et courts circuits de décision,  large communication entre tous les services,
  • promotion des meilleurs, sans tenir compte du sexe ou de la nationalité
  • rémunérations analogues pour les managers ou pour les experts techniques
  • participation des personnels au capital de l'entreprise
  • valorisation des meilleures idées et de l'innovation, avec une approche marketing
  • structures de projet

Article

 
C'est l'histoire d'un petit fabricant de souris qui finit par inquiéter les éléphants du secteur. Fondé en Suisse en 1981, Logitech s'est imposé en deux décennies comme un grand constructeur de périphériques informatiques. De la souris d'ordinateur au « joystick » (manette de jeu) en passant par la caméra Web ou la télécommande universelle programmable par Internet, le fabricant couvre aujourd'hui toutes les interfaces possibles entre l'homme et l'ordinateur. Et ce depuis les produits à bas prix vendus dans les hypermarchés, à travers la sous-marque Labtec, au nec plus ultra de la technologie, signé Logitech. Occupant tous les créneaux, la firme suisse s'arroge des parts de marché enviables, qui atteignent 35 % sur les souris et 50 % sur les webcams. Elle emploie aujourd'hui plus de 6.000 salariés, répartis entre l'Amérique, l'Europe et l'Asie. Pour l'exercice 2004-2005, qui s'achève le 31 mars, la société prévoit une croissance de 18 % et un chiffre d'affaires de 1,5 milliard de dollars.
Pourtant, au regard de sa progression et de sa taille, cette multinationale, qui vend dans plus de cent pays, affiche une discrétion étonnante. Elle fait partie de ces entreprises qui savent se faire oublier, sans doute pour mieux mettre en avant leurs produits. « Le profil bas est le seul élément suisse qui demeure dans leur culture d'entreprise, par ailleurs très globale », estime Pierre-Yves Lanz, spécialiste des valeurs boursières suisses à la banque genevoise Sarrazin. De fait, Daniel Borel, cofondateur et PDG de Logitech, est loin d'avoir la dimension médiatique de Steve Jobs d'Apple, Bill Gates de Microsoft, ou Larry Ellison d'Oracle.
Il n'empêche. Logitech, avec ses produits qui combinent une forte valeur ajoutée high-tech et un style choisi, peut revendiquer d'être une marque « high-tech ». « Ils ont débanalisé ce qui aurait pu rester au stade du produit brun. Avec Apple et Sony, Logitech fait partie du trio de tête des sociétés qui allient performance technique et design », affirme Céline Fedou, analyste marketing du cabinet d'études GFK. C'est d'ailleurs la seule marque qui puisse prétendre à ce statut dans l'univers, peu glamour, des périphériques informatiques.

Pragmatisme et diversité
Mais, en dépit de son succès d'image et commercial, Logitech garde les pieds sur terre. « Je m'étonne parfois que l'on ait survécu à tant de révolutions dans l'informatique. Dans notre domaine, vingt-trois ans d'existence, c'est plutôt bien en regard du nombre de sociétés qui ont disparu pendant ce même laps de temps ! », remarque Daniel Borel. En rappelant à chaque occasion sa « fragilité », Logitech entend, en fait, inciter ses collaborateurs à la vigilance. « Chaque fois que nos dirigeants annoncent de bons résultats, ils s'empressent d'ajouter que rien n'est acquis, que la concurrence nous suit de près, et que nous ne devons surtout pas nous endormir sur nos lauriers », confie un ingénieur suisse. Et quand il s'agit de d'investir dans des projets nécessaires au maintien de ce leadership, l'argent coule à flots. Pour le reste, une rigueur teintée d'austérité imprègne la culture d'entreprise.
Logitech mène ainsi une chasse impitoyable au gaspillage, et l'exemple vient d'en haut. « Nous attachons peu d'importance au décorum. Nos bureaux n'ont rien de spectaculaire et les collaborateurs, y compris les membres de la direction, voyagent en classe économique », affirme Daniel Borel, adepte du management par l'exemple. Le même pragmatisme caractérise la gestion des ressources humaines. Logitech met ainsi en oeuvre une forte diversité dans le recrutement de ses dirigeants. Le conseil d'administration lui-même reflète la carte géographique des implantations : il comprend des Asiatiques, des Européens et des Américains. Plus surprenant, dans ce secteur high-tech dominé par les diplômés d'écoles d'ingénieurs où les femmes sont peu représentées, Logitech a réussi à en caser six dans son comité de direction, qui comprend treize membres. Le « plafond de verre » qui empêcherait celles-ci d'accéder aux hautes sphères y serait-il plus facile à crever qu'ailleurs ? Pas forcément ; là encore, il faut percevoir un souci d'efficacité plus qu'une volonté de sacrifier à l'air du temps.
Son personnel reflétant jusqu'au plus haut niveau la diversité de ses consommateurs, Logitech y gagne, certainement, une meilleure sensibilité vis-à-vis du marché. Les campagnes de publicité Logitech ne se cantonnent d'ailleurs pas à la presse informatique, où prédomine un lectorat masculin. « Nous voulons nous adresser à tous les consommateurs, pas seulement aux technophiles, et ne négliger aucune cible. Nous avons même passé des annonces dans la presse féminine », explique Sylvie Noulette, directrice marketing France. En ce qui concerne les rémunérations, Logitech veille à préserver une certaine équité dans la gestion des carrières. Les échelles de salaires sont les mêmes, que l'on décide de grimper dans la hiérarchie pour devenir manager, ou que l'on s'oriente vers une carrière d'expert, une filière traditionnellement moins bien rémunérée en entreprise. Ce n'est pas tout. Régulièrement, les salariés se voient proposer d'acheter des actions Logitech, avec décote, ou bien se voient concéder des stock-options. Un avantage d'autant plus apprécié que le cours de l'action ne cesse de monter.

Cent brevets déposés par an
Ces pratiques contribuent à fidéliser et à motiver le personnel, mais ne suffisent pas à expliquer le succès. C'est en fait surtout à sa culture de l'innovation permanente que le fabricant suisse doit de conserver une longueur d'avance sur la concurrence. Et il ne ménage pas ses efforts en ce sens : plus de 5 % du chiffre d'affaires est investi dans la recherche-développement. Une centaine de brevets sont déposés chaque année. Logitech se caractérise aussi par son approche « marketing » de l'innovation. L'entreprise n'innove que si c'est rentable, et ne perd jamais de vue les évolutions du marché. Tout en restant logique dans ses approches. A Morges, en Suisse, Sergio Lazzarotto directeur de l'ingénierie des claviers et souris sans fil s'en explique : « Pour tempérer leur perfectionnisme, je dis parfois à mes équipes : "Ne soyez pas trop suisses." Car la perfection a un coût et doit avoir une utilité pour le consommateur. » Bref, l'innovation est, aussi, imprégnée de la culture pragmatique maison.
Pour stimuler les idées, les collaborateurs qui contribuent le plus à l'innovation sont régulièrement distingués, notamment à l'occasion des « Patent Award Dinners », des agapes annuelles où les dirigeants congratulent les plus performants. Pour une innovation majeure, qu'elle fasse ou non l'objet d'un dépôt de brevet, certains ingénieurs reçoivent jusqu'à 10.000 euros de prime, ou encore de substantielles stock-options. La volonté de récompenser les bonnes idées se manifeste aussi vis-à-vis de l'extérieur. Le syndrome du « not invented here » (pas inventé chez nous) n'existe pas chez Logitech, qui a mis en place des procédures pour évaluer les idées venues d'ailleurs. C'est ainsi que des technologies à succès, comme l'effet de retour vibrant dans les manettes de jeux (ou encore les caméras numériques de poche), ont été achetées à d'autres. Au besoin, Logitech rachète des sociétés qui détiennent des savoir-faire complémentaires : sont ainsi tombés dans son escarcelle le fabricant de webcams Connectix, le spécialiste des hauts-parleurs Labtec et le fabricant de télécommandes universelles Intrigue.

Chaos organisé
Susciter et récompenser l'innovation, c'est bien. Ce n'est pas le seul ressort. Le partage des responsabilités contribue à l'efficacité du processus d'innovation, en particulier dans la phase développement des nouveaux produits, lors de laquelle les rôles sont partagés, pour mieux assurer la faisabilité notamment financière de l'opération. Le chef de projet ne s'occupe que des délais et des coûts et a pour interlocuteur un responsable technique. Ce dernier, comme l'équipe d'ingénieurs qu'il anime, dispose d'une grande liberté. In fine, en cas de dérapage, ce qui revient au chef de projet, c'est la mission de ramener le responsable technique, et ses ingénieurs, à la réalité. Entre-temps, ceux-ci auront pu aller jusqu'au bout de leurs idées. « Mieux vaut séparer les deux fonctions. En interne, nous appelons cela gérer un chaos organisé », insiste Sergio Lazzarotto, directeur de l'ingénierie des claviers et souris sans fil.
La hiérarchie, la bureaucratie, voilà l'ennemi. L'organisation de Logitech vise donc à raccourcir les circuits de décision. « Nous encourageons les collaborateurs à communiquer largement et pas seulement avec leur supérieur direct. Chacun doit se sentir assez à l'aise pour contacter un autre département ou un autre pays, pour échanger et demander conseil. Nos équipes doivent partager les idées et s'entraider », martèle Steve Daverio, vice-président de Logitech pour l'Europe, le Moyen-Orient et l'Afrique. L'usage intensif des outils informatiques facilite ces échanges entre des collaborateurs, répartis sur trois continents. Chez Logitech, pas besoin de se voir, ni même de se parler, pour s'entendre : l'essentiel de la communication passe par l'intranet, qui ignore les contraintes du décalage horaire. L'exemple vient d'en haut : le PDG est basé en Suisse, le directeur général et le directeur commercial aux Etats-Unis, tandis que le directeur de la production est installé en Chine. L'anglais, qui constitue la langue officielle de travail, se joue des frontières nationales. Des formations au management interculturel visent à renforcer les fondements de cette culture d'entreprise globale, qui évolue dans une perpétuelle mouvance. Très tôt, Logitech a appris à utiliser chaque pays en fonction de ses avantages propres.
D'où une culture managériale propice à la remise en cause permanente. A la fin des années 1980, sans états d'âme, le fabricant a délocalisé sa production de souris vers l'Asie, dès qu'il a pris conscience que les coûts européens lui interdisaient de poursuivre cette activité sur le continent. De la même façon, l'implantation d'un important service marketing dans la Silicon Valley se justifie par la volonté, opportuniste, de détecter les marchés informatiques du futur. Le maintien en Suisse d'un pôle d'excellence en ingénierie dédié aux technologies sans fil s'explique, lui, par la maturité du marché européen du téléphone mobile. Pour des raisons évidentes de compétitivité, enfin, la Chine et Taiwan, quant à elles, prennent en charge la fabrication.
Cette division du travail ne cesse d'évoluer. Aujourd'hui, Logitech prend en compte l'essor d'une main-d'oeuvre qualifiée chinoise, capable de faire autre chose que de la production. Dans l'empire du Milieu, la société commence à recruter des développeurs. « Cela va décharger nos équipes suisses et taïwanaises et leur permettre de se recentrer sur des projets à plus forte valeur ajoutée », explique Sergio Lazzarotto, directeur de l'ingénierie des claviers et claviers et souris sans fil. Cette nouvelle orientation va également contribuer à faire baisser les coûts de développement, et, sans doute, accélérer encore la mise au point des produits d'avenir. Chez le fabricant suisse, quand il s'agit de lancement, il y a toujours le feu au lac. N'en déplaise au proverbe.

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